vendredi 6 septembre 2013

De Generale moet kapot...

Donc, retour aux grèves de 1970, les mineurs se sentent trahis, abandonnés. Le premier ministre de l'époque, Pierre Harmel, un catho liégeois, lance des appels au calme. A la télévision, il prononce une allocution mémorable et déplore que ce Limbourg naguère si calme, si paisible - il voulait dire, sans doute, si travailleur et si con - ce bon Limbourg donc, het gat van België, le cul de la Belgique, se trouvait au bord de la guerre civile. Et moi, révolté, mais pas révolutionnaire jusqu'à l’engagement, rétif à toute caporalisation, mal vu des sbires de la LRT, Ligue Révolutionnaire des travailleurs, la 4ème Internationale, j'étais tricard jusque dans les rangs de l'ultra-gauche où je passais tantôt pour un indic, tantôt pour démobilisateur (oui, coco, enlève ton casque, la guerre est finie et y a pas plus de grand soir que de beurre en broche). Mon ami, le Major, un sans grade de la LRT, pourtant brillant intellectuel et émeutier bien décidé, n'en avait cure et partageait avec moi la fièvre de certaines barricades et des discussions interminables. Et il tenait les ukases et autres manipulations mensongères des petits chefs staliniens pour ce qu'elles étaient, quelque chose entre la bave d'escargot et la raclure de bidet.
D'ailleurs un comble que ce stalinisme centralisateur qui faisait la loi dans une organisation trotskyste. Enfin, bref, c'était méfiance et compagnie, rumeurs et exclusions, humeurs et horreurs, en somme, la popote habituelle de toutes les organisations humaines, qu'il me fut donné d'ingurgiter tant bien que mal plus tard, dans les administrations publiques, au parti socialiste et, surtout, dans les sociétés privées. En somme, le léchage de cul obligatoire ou la porte, la garantie de ne pas crever de fin contre l'assurance de mourir de honte.

Revenons-en aux mineurs limbourgeois et à la mystique prolétarienne et à ses rituels incantatoires. Une grande manifestation était prévue à Hasselt, chef-lieu du Limbourg, promue capitale d'un jour de cette agitation minière. Et donc, le train de la solidarité bruxelloise prit la route, bondé de militants de tout bord. Et là, à la sortie de la gare, comme j'étais le régional de l'étape, "on" me pria de prendre la tête du cortège, puisque je connaissais la topographie locale. Je fus donc abondamment photographié et fiché par la gendarmerie en civil, la Brigade Spéciale de Recherches, et définitivement grillé, j'étais devenu un dangereux meneur, un de ces militants révolutionnaires professionnels qui effrayèrent tant la bourgeoisie à l'époque. Pour la petite histoire, les pandores en civil sont allé voir mon ingénieur de père, responsable d'exploitation à Beringen, l'un des sept puits limbourgeois. Ils lui ont donc montré des photos de la manifestation, avec gros plan sur mézigue et ils lui ont demandé de l'aide pour identifier l'un ou l'autre trublions. Et vous êtes certains de ne reconnaître personne?
Mon père têtu et buté comme dans ses meilleurs jours se ficha du ridicule de la situation et soutint mordicus qu'il ne reconnaissait personne. Je ne crois pas que tout cela était très favorable pour son plan carrière. Moi, j'en ai retenu que dorénavant, je ne participerai plus a quoique ce soit sans être anonyme, cagoulé ou dissimulé derrière un pseudo. Je suis donc pol.knots aka péka, l'homme qui change régulièrement de téléphone, de pays, d'adresse et de nom. Un peu de parano m'est resté, et finalement, cela présente des avantages: très peu de coups de fil, un fisc perplexe, une dérive permise de pays en pays, de jeu de rôle en jeu de rôle, consultant international, puis héros en pantoufle dans une petite ville de province.
Enfin, cette fois-là, à Hasselt, en 1970, je ne fis pas beaucoup plus qu'arpenter les rues de la ville, battant le pavé sans le transformer en projectiles. Il me semblait rejouer a petite échelle le rôle des anarchistes couillons de l'histoire révolutionnaire, me rappelant la sombre comédie des Brigades Internationales (Espagne 36-39) avec les anarchistes tout devant, volontaires pour le massacre et sacrifiés par avance, et les communistes par derrière, plus calculateurs et organisés.

Aujourd’hui, me reste surtout le souvenir de l'un des slogans du pavé hasseltois: "De Generale moet kapot", la première banque du pays devait crever. On sait qu'il n'en fut rien, que la banque ultraconservatrice échappa plus tard et de justesse à une tentative d'OPA orchestrée par le déjà dérisoire Alain Minc et qu'elle finit son parcours, bien après 1970, dans les bras de Suez. Voilà que je radote et répète ce que j'ai déjà dit au chapitre du petit singe jaune devenu blanc. Le lecteur attentif et patient s'y reportera . Et il voudra bien noter que ces redites sont le signe de sentiments très mélangés. Touiller dans les souvenirs n'a jamais été mon fort. Je préfère regarder l'instant présent, et l'avenir. Les projets enfouis, le passé, ma foi, j'ai donné et ils me semblent bien moins goûteux que l'avenir. Mais il faudrait ici encore nuancer, c'est le proche passé qui m'ennuie, surtout le mien. Surtout les années grises et poussiéreuses de ma jeunesse passée dans un pays un peu ridicule, mais dangereusement vermoulu. Et quelques surréalistes, le goût populaire pour l'autodérision ne m'enlèveront pas de la tête que les belges après avoir été parmi les colonisateurs les plus féroces de l'histoire sont restés un petit peuple de gens singulièrement bornés, qu'ils soient flamands, wallons ou bruxellois, ils sont collectivement pareil dans la médiocrité. Mépris por les autres, pour l'Autre, pour le différent, pour l'intellectuel, pour l'intelligence. Combien d'homme politique j'ai vu cracher sur les intellectuels, du grand charlot bruxellois ou petit Guy gantois, j'ai pu largement me rassasier de leur petitesse d'esprit, tout souffrant qu'ils étaient -sans le savoir- d'un nanisme intellectuel incurable. Et l'autre, le pseudo scientifique montois qui finit de justesse, quasi recalé comme commissaire européen...
Le plus drôle que ces personnages sont persuadés de leurs excellence, distribuent les anathèmes et se gaussent des conversations d'intellectuels qu'ils jugent toutes du niveau du café du commerce. Et que dire de ce charlot, tout perdu dès qu'il doit quitte le périmètre du ring bruxellois et qui n'a de cesse de se moquer des faux idéalistes et autres idiots qui l'entourent et qui font du socialisme alimentaire. Il devrait plutôt, à mon humble avis, bien considérer ce qui garnit - d'ailleurs copieusement - son assiette. Et Flupke de Molenbeek, un repenti du KGB, ou tout comme, nostalgique d'un grand capitalisme étatique industriel en Wallonie, fils spirituel du grand Cools. Oui, le trucidé dans des conditions mafieuse, qui ne passera certainement pas à la postérité pour s'être un jour exclamé qu'il en avait marre de ces chercheurs (universitaires) qui ne trouvaient jamais rien. Mais à force de s'entourer de coquins, de copains et de crétins, surgissent les ennuis, le discrédit et les mornes fins de carrière à la sauce réchauffée de l'auto louange. Et, toujours à propos du grand charlot, celui que j'ai le plus côtoyé, retenons simplement que Bruxelles est l'un des grandes villes les plus mal gérées d'Europe et qu'il est connu pour choisir ses collaborateurs pour toute sorte de raisons, sauf l'intelligence.
Et ne parlons pas d'art contemporain, de pratiques artistiques actuelles à ces mandarins de la politique belge. A qui s'aventurerait tout de même à vouloir échanger ne fût-ce que quelques banalités sur l'art contemporain, il sera donné d'entendre un ramassis de clichés qui feraient même sursauter un poujadiste endurci. Consternant. J'ai eu le privilège d'essayer de servir le grand charlot pendant quelques années, entre 1991 et 1998 et je sais un peu de quoi je parle.
Affublé au départ du titre ronflant de secrétaire particulier, sans aucun job description, entourés de gens qui n'avaient jamais entendu parler de contrôle de gestion, ni d'aucun des principes du management d'ailleurs, mon job incertain, couvrait un champ d'activités particulièrement valorisant qui allaient de la promenade du chien du patron à la promenade caca de chien proprement dite, puisqu'il s'agissait, certains dimanche d'arpenter la commune de Saint-Gilles pendant des heures et de noter toutes les négligences du service de la propreté. Vous avez dit contrôle de gestion ? Charlot et bibi, c'était Doublepatte et Patachon question taille et ces promenades me semblaient bien inefficaces, mais Charlot n'en démordait pas, si lui ne le faisait pas, qui l'aurait fait. En ce temps là, il était ministre, bourgmestre et président d'un club de foot, avec pour chaque fonction, un staff rapproché d'au moins 10 personnes. Dans l'armée américaine, un gradé se serait fait mettre sur la touche pour moins que ça et l'on aurait hésité à lui confier la gestion d'une photocopieuse, en tout cas. Toujours est-il que les promenades caca de chien finissait invariablement lundi matin dans le bureau du boss avec les responsables de la propreté publique. Charlot avait tout noté dans son petit carnet noir et il remontait les bretelles des membres de son équipe en leur détaillant toutes les crottes plus ou moins monstrueuses rencontrés lors de notre petit trekking dominical. On entendait voler une mouche dans la pièce. Et des anecdotes, il en reste des tonnes. Parlons de l'accueil dans l'entreprise, donc de mes premiers jours. En ce temps, les fonctionnaires ne disposaient pas encore de réseau informatique, et encore moins de pc. Il fallait ou bien se résigner à gratter du papier au sens propre du terme, ou bien à financer sur sa cassette personnelle l'achat d'un ordinateur. Assez naïvement, je dois l'admettre, j'entrepris Charlot pour que l'on m'équipe. Il se moqua de moi, me dit que je lui faisais penser à un voyageur de commerce qui demandait une voiture pour pouvoir faire la route, alors qu'il n'avait toujours rien vendu. Et il m'exhiba son fameux carnet noir en me recommandant de m'inspirer de lui. Et d'ajouter sans rire qu'il se débrouillait depuis des dizaines d'années avec ce carnet et que cela allait fin bien. En dat in uw kas comme on dit à Bruxelles.
Allez, encore un petite anecdote sur Charlot, celle qui m'a fusillé. Hors donc, un lundi matin, je vérifie l'agenda du grand homme et lui trouve un petit déjeuner de travail avec Bill Clinton.
Mais, j'apprends dans la foulée que notre héros bruxellois a décliné l’invitation trouvant que son anglais est trop faible et qu'il se passerait bien de cette corvée. Un mélange de père Ubu, de Staline et de Clochemerle, dont il faut bien dire que c'est la bibine dont s'accommode les électeurs belges qui n'ont donc -en définitive- que les hommes politiques qu'ils méritent.


Dans ce pays de la frite, de la bière chaleureuse, du bon vivre, moi je découvrais que l'ascenseur social était en panne et que ce n'était pas la peine de prendre l'escalier, il était barricadé. Donc, le passé immédiat, le passé immédiat à l'échelle historique, c'est déjà mon passé lointain, une sorte de remugle poussiéreux qui me reste en travers de la gorge.

L'Histoire, avec majuscule, pourtant, je connais un peu puisque j'ai commis de vagues et passablement brillantes études universitaires en histoire. L'un ou l'autre professeur aurait même pu se faire à l'idée de m'avoir comme assistant. Mais, moi, passer ma vie dans une institution à cultiver mon petit jardin scientifique pour - de temps à autre retirer un caillou de ma plate-bande et l'envoyer sournoisement dans le jardin du voisin, guettant se réaction et celle de tous les confrères spécialistes de la communauté scientifique qui auraient le malheur de partager la même spécialité confidentielle, non merci. Et donc, exit les incursions prolongées dans le passé, que ce soit le mien, celui de l'humanité ou même celui des Beaux-Arts. J'en suis encore et toujours à visite les musées au pas de course. Parfois, je reste accroché par une toile, les minutes passent. Souvent, je sors, écoeuré, comme gavé, trop, trop, trop de tout.
C'est l'overdose. Je fais même le distinguo entre art contemporain et art actuel, l'un déjà fossilisé, institutionnalisé, l'autre tout frais, innovant, se méfiant des vieilles postures du passé. Je me méfie de tout passéisme gagatisant par essence et comprends mal les artistes qui s'occupent encore et toujours de thèmes déjà mille fois explorés. Et il ne s'agit pas des malheureux qui font encore de l'Ecole de Paris trois mille plus tard. Vous voulez des noms? Alors, laissons vibrer ma fibre de commissaire politique et considérons le panthéon belge contemporain.

Jan Fabre et Jef Gys y figurent en bonne place. Le premier, Jan, a même une stature internationale confirmée qu'il doit en grosse partie à ses mises en scène au festival d'Avignon. En Avignon toujours, notre Jantje national figure d'ailleurs en bonne et due place dans la collection Lambert, des pièces fort discrète et qui n'ont pas l'ampleur de son cercueil à tête de paon (Toulouse), ni la qualité clinquante de scarabée géant que l'on voit en la galerie Deweerdt. C'est d'ailleurs là, chez ce bon Jo Coucke que j'ai eu l'occasion d'apercevoir Jan. Il n'étai pas encore poivre et sel, ni blond genre coureur automobile. Juste un artiste un peu mal à l'aise au vernissage, comme il se doit quand on se retrouve coincé à montrer des travaux déjà vieillis et qu'on a l'esprit tout occupé par de nouvelles aventures plastiques. Janneke est d'ailleurs devenu une gloire nationale attitrée puis qu'il a fourni - aux côtés de Marthe Wéry, quelques travaux monumentaux destinés à la décoration du Palais Royal. Il devrait donc avoir le droit de porter le titre supposé flatteur de Fournisseur de la Cour. Au Palais, il s'est fendu d'une chatoyante myriade des scarabées, un million de doryphores, pour décorer ou réveiller un plafond qui devait en avoir besoin. Jef Gys, lui, a une aura plus confidentiel, mais il est devenu un prescripteur attitré de certaine galerie anversoise et en Flandre donc, il s'est taillé une solide réputation et la solide cote qui l'accompagne. Au sortir de l'adolescence j'ai rencontré le personnage qui était l'un des deux associés des "Twee Jefkes" d'une bonbonnière rose transformée en boîte de nuit. Il l'époque (vers la moitié des années soixante) il roulait déjà carosse et au début du troisième millénaire il me parlait encore avec émotion de sa voiture de sport.

Donc, petit couplet obligé et précautions oratoires d'usage, je ne compte pas faire une exégèse de l'oeuvre de nos deux compères flamands, ni en faire une critique, ça serait hors sujet. Je veux juste parler d'artistes contemporains qui de temps à autres se plongent dans des sujets un tant soit peu obsolètes. A la galerie Deweerdt Jantje y est allé d'un petit couplet ouvriériste en couvrant un plafond de meubles d'hôpitaux et de machines-outils, et le même, en Avignon s'est montré fort soucieux de secrétions corporelles, plus d'un siècle après le passage de Freud. Je n'ai pas vu la pièce, mais comme tout un chacun, je lis mes journaux électroniques chaque matin. Je ne sais donc pas si Jantje chéri en était à explorer le thème de l'éjaculation féminine ou non et si les femmes fontaines étaient à l'ordre du jour an Avignon. Mais je suppose qu'il n'a pas abordé ce petit front secondaire du grand front des luttes secondaires de la libération sexuelle. Pourtant, s'il fallait s'occuper de secrétions, c'est ben par là qu'il faudrait plonger, tant est grande l'ignorance des peuples en la matière. Allez Jan, encore un effort, y a encore du pain sur la planche et il n'y a pas si loin du festival d'Avignon au docteur Ernst Gräfenbeg le découvreur du point G. Et en lisant ou relisant le bon Ernst, The Role of Urethra in Female Orgasm, in The International Journal of Sexology, Vol 3, pp. 145-148, 1950, notre Fabre national pourra peut-être contribuer à rattraper le temps perdu.
Et nous y voilà,  le G rouge sur fond ivoire jaune dans un soleil bleu tel que je le présente, c'est aussi le point G, un clin d'oeil, une relecture paradoxale et ambiguë du logo de la Générale de Banque. Attention, un train conceptuel peut en cacher un autre. D'accord, c'est un clin d'oeil vers le passé, mais en vous priant de noter que ce qui est intéressant, ce n'est pas la révolution sexuelle, mais les mutations sexuelles, le rôle des adjuvants, les découvertes des sciences cognitives, les mutations cognitives à venir qui vont renvoyer la bimbeloterie marxiste, freudienne et religieuse au rayon des vieilleries où je leur réserve une place de choix avec tout l'irrespect requis par tout ce que l'ineptie humaine a pu produire en la matière. Du style avoir le privilège douteux d'être la seule espèce à saccager sa cage et celle de toutes les autres espèces. Vive le Front de Libération du Cerveau. Ah oui, tout de même, vivent les femmes fontaines.


Et Jef Gys, dans tout ça. Rien ou pas grand chose. Il s'est cru obligé de donner une grande exposition sa lecture du marxisme en 2006, nous ramenant à la mystique prolétarienne près de 30 ans après la chute de l'Union Soviétique. Vous dites qu'il n'est jamais trop tard. Oui, vous avez raison, mieux vaut tard que jamais. Mais alors dans un discours qui ne soit pas du premier degré, univoque et poussif, plus ou moins affublé d'oripeaux esthétisants.

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